métaphores:
Mini narrations à thématique spirituelle
LE DILEMME DE VINCA
Chapitre 1: « Et mon coeur m’a couru après »
9 décembre 2024
Du haut de ses cinq pieds deux, elle avait dû vaillamment s’obstiner à tendre le bras encore et encore jusqu’à ce que le crochet de porte lui cède enfin la victoire. Son cri de joie ne fut cependant que de courte durée, car elle trébucha immédiatement sur ses propres lacets. Mais avant même qu’elle ne pût s’exclamer d’indignation, elle se retrouva à tomber dans le vide pour ce qui lui apparut comme une éternité. Le souffle du vent était chaud sur ses joues, et son cerveau cessa de penser à quoi que ce soit. Il n’y avait qu’une certitude à présent, et ses battements de cœur pressés le lui confirmaient.
Vinca D’Aubigny voyageait dans le tunnel du temps… et son rêve le plus cher allait enfin se réaliser.
La chute fut aussi saisissante que celle qu’elle avait vécue auparavant. Instinctivement, elle glissa habilement son épaule sous elle et amortit l’impact en se roulant sur le côté. Une douleur vive s’empara de tout son corps, mais elle ne la ressentit même pas. Vinca sourit, et une fine larme glissa sur sa joue. Contrairement au vent glacial de l’hiver qu’elle venait de quitter dans sa vie présente, tout autour d’elle baignait dans la chaleur et une lumière dorée. Juan-les-Pins s’étalait devant ses yeux, mais ce n’était pas la station balnéaire animée qu’elle avait regrettablement quittée quelques années plus tôt. Non, ce Juan-les-Pins-ci, c’était l’espace kitsch de son enfance et des années 90. Tout était exactement comme dans le passé. La fête foraine battait son plein, le ciel riait avec les enfants qui se faisaient des moustaches roses avec leurs barbes à papa, et le vieil orgue mécanique du cartomancien, Marcel, prônait le mysticisme. Vinca se releva lentement, sa main s’enfonçant docilement dans le sable doux et soyeux qu’elle connaissait si bien.
Dans sa vie actuelle, elle avait passé un accord avec un étrange magicien. En échange de toute sa richesse, elle se verrait accorder un voyage dans le temps. Un seul voyage, et à durée limitée. Elle ne pourrait revivre qu’un seul moment qu’elle regrettait et qu’elle souhaitait ardemment changer. Vœu exaucé ! Mais attention, lui avait prédit le magicien, on ne vit qu’une seule fois, et toute expérience demeure unique. Si elle avait l’intention de transformer ne serait-ce qu’un instant de ce temps qu’elle avait déjà vécu et perdu, elle perdrait non seulement sa richesse actuelle, mais toutes les richesses de toutes ses vies précédentes. Et sur ce ton cryptique, le magicien lui avait tourné le dos, laissant derrière lui la porte de toutes les curiosités. Elle devait s’assurer d’ouvrir la bonne et de faire les bons choix à partir de ce moment précis. Enjouée et envoûtée par le désir, Vinca avait choisi. Et la voici maintenant atterrissant dans sa ville natale, à la recherche du seul événement qu’elle regrettait le plus.
Il ne lui fallut pas longtemps avant de les apercevoir, tous les deux, sur son chemin. Elle savait exactement où les retrouver, quels chemins prendre, quels regards éviter, quels souvenirs fuir. Après tout, retourner dans le passé lui avait donné un pouvoir d’omniscience. Elle connaissait déjà les événements qui s’étaient produits et savait précisément ce qui l’attendait là-bas, là où le vent court à vive allure et où tous les rêves avaient été forgés. Et soudainement, elle l’aperçut…
Tel un songe ancien, Khedive broutait docilement l’herbe du pré. Elle était soulagée de s’être débarrassée du poids envahissant qu’elle traînait chaque jour. Était-ce un vécu antérieur qu’elle avait rejeté ce jour-là, ou l’homme qui leur avait filé entre les mains à toutes les deux ? Vinca photographia tout dans sa mémoire. Elle ne voulait plus jamais oublier, mais elle savait aussi qu’elle ne pourrait pleurer. Tout l’univers devait se contenir en son sein afin qu’elle ne perde ni passé ni présent. La lourdeur de son choix s’éclaircissait de plus en plus dans son esprit, lui faisant souffrir encore davantage. Mais cette douleur n’avait rien de comparable avec le chagrin languissant qui nourrissait le chahut dans sa tête depuis cette journée fatidique. S’avançant doucement, elle plongea ses doigts dans le crin doré de sa jument d’enfance et posa sa tête contre son cou.
« Je n’ai pas eu le temps de te souhaiter adieu », murmura-t-elle.
(À suivre)
LA DAME & LE ZMEI
Chapitre 3: « Tu ne tueras point ton autre Soi »
2 décembre 2024
La Dame prit trois profondes inspirations, calmant son esprit. La cérémonie des mots sacrés était sur le point de commencer, et bientôt, elle se retrouverait à descendre dans l’obscurité de l’antre du Dragon alors que lui demeurerait à ses côtés en l’accompagnant dans le dédale de ses anciennes erreurs. Aucun des deux ne se sentait prêt pour ce qui les attendait—un moment qui semblait moins être l’accomplissement d’un vœu qu’un jugement solennel. Pourtant, cet instant portait en elle la possibilité de révéler une vérité : celle d’un souhait si puissant qu’il avait ouvert non seulement les portes d’un amour pur et du destin, mais aussi celles de ce qui avait dû rester imprononçable… jusqu’à maintenant.
Ce serait son appel à elle. Il le savait instinctivement. Elle devrait ravaler sa fierté et faire le premier pas en avant. Mais ses pieds meurtris, marqués par des voyages sans fin, s’enracinaient obstinément dans la terre, tandis que des souvenirs refaisaient surface.
Mille marches de pierre, elle en avait gravies dans mille mondes mystiques. Mille dragons, elle en avait affrontés à travers d’innombrables portails. Et avec chaque aventure, elle avait sauvé mille couronnes de mille donjons. Et pourtant, où étaient les Rois et les Reines qui lui devaient leur allégeance à présent ? Chacun avait promis de la guider vers ce moment précis, l’événement qui avait déclenché son voyage dans cette vie. Tous avaient juré—avec la plus grande sincérité—qu’elle se retrouverait enfin reflétée dans les miroirs des Cieux.
Mais même en aspirant profondément à cet instant de pure reconnexion, elle ne pouvait se défaire d’un sentiment croissant d’étrangeté. Elle se sentait comme une étrangère, apaisée puis renvoyée sur le chemin d’où elle était venue. Et elle ne pouvait non plus tolérer ce Moi qui se matérialisait dans sa vie à cet instant précis. Ce Moi qui était l’Autre elle—celui qui avait l’étrange pouvoir de transférer les vœux d’une âme à une autre, tout en offrant à chaque humain béni le souhait dont il avait le plus besoin sur Terre.
Le Zmei était cet Autre.
Le Zmei n’était pas Elle.
Le Zmei ne pouvait plus continuer à être Elle.
Le Zmei… n’appartenait ni au royaume du bien ni à celui du mal.
Un profond chagrin emplit la Dame à cette pensée. Seul de l’énergie obscure émanait d’elle à chaque fois qu’il expirait son feu transmutateur. Contrairement à ses prédécesseurs, elle n’en devenait pas purifiée. Sa punition, comprit-elle alors, n’était pas de prononcer l’imprononçable, mais de voir en lui—l’Autre—un autre humain, une autre facette de l’humanité à laquelle elle appartenait. Il était une autre relation humaine, dépendant d’elle autant qu’elle dépendait de lui.
C’était là leur terrain d’entente.
Ce ne serait pas une punition, mais un sacrifice de son Moi. Car le Zmei existait à travers son esprit, et pour libérer son esprit, elle devait ramener le Zmei au centre de son monde.
« Je te prononce comme je me prononce moi-même », murmura-t-elle.
Le Zmei baissa la tête respectueusement.
« Et je te prononce comme tu fus nommée à l’aube des Temps. »
(FIN)
LA DAME & LE ZMEI
Chapitre 2: « À l’écoute de la parole volée »
25 novembre 2024
En réalité, le Zmei avait connu la sainteté dès le moment où la Terre avait posé ses yeux sur lui. Il était donc en sa nature de protéger ceux d’en bas de la colère de ceux qui se trouvent au-dessus et de protéger ceux qui sont au-dessus de lui des calomnies de ceux qui vivent en dessous. Pourtant, en tant que soldat sans nom ni héritage, ses jeunes griffes avaient déterré des racines dans toutes les terres qu’elles pouvaient posséder, mais hélas, là où il y a de la sainteté, il y a toujours une rédemption possible, et ses possessions n’avaient duré que quelques années tout au plus, avec une miséricorde qui lui était accordée rapidement, qu’il l’eût souhaitée ou non. Le sommet de la montagne avait été le seul à tenter de le ramener vers la lumière et à travers cette lumière, il avait rencontré son berger, puis s’était abrité sous les ailes du berger. Par gratitude pour cette renaissance, il s’était porté volontaire pour la tâche herculéenne de devenir le gardien des portes qui séparent le monde connu du Tout du monde qui suppliait d'être connu de tous. Il avait vaincu de nombreux guerriers et chercheurs depuis lors, mais en ce jour ci, alors qu’il soufflait du feu par ses narines, il ressentit de la frayeur face à ce talon d’Achille que personne n’avait jamais détecté. Car le combattre signifiait la mort assurée, mais lui offrir ce qui était le plus précieux à soi-même… cela ouvrirait des portails vers une conscience cosmique qu’il n’était pas encore prêt à partager avec le monde.
La dame ne lui parlait plus, mais il pouvait sentir l’intrusion des nombreuses langues étrangères, non prononcées et péries qu’il avait étouffées par le feu alors qu’elles brûlaient à la surface de son ventre. Rien ne pouvait échapper, il le savait bien, car il était un transférant et tout ce qui restait de ce qu’il avait consommé n’étaient qu'os et souvenirs de ceux qui avaient souhaité et souhaité et souhaité. La dame, quant à elle, était une donneuse de souhaits et, bien que son vœu ait été un sacrifice d’elle-même, elle absorba et absorba jusqu’à ce que le ventre de la bête soit dominé et qu’elle entende tout. Les voix résonnaient aussi claires que le jour qui l’avait bénie. Il y avait le soupir du mystique, il y avait le silence des fils et filles du savoir ancien et, bien plus bas, elle entendit les lamentations des oubliés. Mais la parole qu’elle désirait entendre le plus demeurait un simple murmure, qui s’éloignait de plus en plus d’elle. Il n’y avait qu’un seul moyen de le sortir de là et c’était un moyen qu’elle avait craint devoir emprunter après avoir vaillamment offert l’un de ses trois vœux parfaits au Zmei. Ils devraient absolument se rencontrer au milieu, découvrir ce qui pourrait être leur terrain d’entente, trouver une étincelle à laquelle se raccrocher. Elle devrait jouer les sons de la signification de son monde pour lui, et lui devrait chanter en retour les sons de la signification de son propre monde pour elle… mais seulement s’il l’acceptait. Pour l’heure, il restait cet étranger aliéné qui la voyait comme la seule persécutrice de sa terre, et pourtant, au fond d’elle, elle ressentait la même chose à son égard. Ils étaient issus de deux repères totalement différents : l’humain et l’ancestral.
La Dame prit une profonde inspiration. Elle allait devoir rendre son nom prononçable et lui, en retour, devrait aussi faire l’effort de rendre son nom prononçable.
Ou du moins, c’est ce qu’elle espérait intérieurement.
(À suivre)
LA DAME & LE ZMEI
Chapitre 1 - « Je te fais don de mon Voeu »
18 novembre 2024
À l’abri du regard des inconscients du village, la Dame avait commencé son ascension de la montagne qui surveille. Elle avait percé le secret de ses sombres nuages et s’était faufilé à travers. Et ce soir-là en particulier, elle avait jeté son dévolu sur le Zmei, l’enchantant et l’envoûtant de son charme et de sa beauté sans pareil. Allongés côte à côte sur le sable doux du sommet de la caverne, ils éclatèrent de rire, s’interrompant seulement lorsque la douleur dans leurs côtés les força à s’arrêter. Pourtant, aucun d'eux ne s'abandonnait totalement à la joie partagée. Tous deux étaient inégalés dans leur esprit et leur ruse, mais aucun n’arrivait à franchir cette barrière invisible qui les séparait. Il n'y avait tout simplement pas de terrain d'entente. Tout comme le Zmei était l'ennemi de l’allégeance que la Dame tenait en haute estime, la Dame représentait une menace pour les abîmes que le Zmei défendait avec ferveur. Et ainsi, leurs regards se croisaient, avides de repérer le moment parfait pour s’élancer, se battre et revendiquer la victoire au nom de la justice qu’ils pensaient apporter chacun à leur monde.
Pour le Zmei, il n’y avait aucun doute sur ses intentions véritables. Sa mission était de toujours affronter l’inconnu, de protéger les ténèbres de sa cité pour que la lumière n’y soit jamais ternie, et de semer le chaos dans les sociétés humaines chaque fois que leurs systèmes fragiles vacillaient. Le Zmei gronda. Ses écailles de dragon s’enfonçaient dans sa chair, masquant la force brutale des flammes qui brûlaient en lui. Elles étaient prêtes à détruire cette volonté obstinée que l’on retrouvait souvent aux royaumes humains. Il avait combattu des Princes, des Rois, des hommes fiers et des garçons fidèles à leur terre, mais jamais—oh jamais—il n’avait été défié par l’innocence, la douceur, la limpidité… la féminité. Tous ces hommes courageux qu’il avait écrasés sur son passage n’étaient pour lui que des cailloux au fond du fleuve, mais cette Dame ci… Elle était l’incarnation même de la puissance des eaux, et il savait qu’elle pourrait réduire ses flammes à l’agonie, à la faiblesse et à l’humilité, si par malheur il ne lui offrait qu’une seule allumette. Elle l’allumerait d’un simple geste, et en un clic de doigts, le Zmei saurait où il se trouvait réellement dans ce monde des Rois.
Gardien des portes du mal, il représentait la moralité que l’on ne défiait pas, et il goûtait à cette sensation, savourant l’illusion de sa maîtrise, de son pouvoir, de sa gouvernance absolue sur tous ceux qu’il dominait chaque jour depuis son perchoir, au sommet de son repaire au creux de la montagne. Le Zmei et la Dame avaient tous deux reçu trois fils d’argent de la Lune. Chaque fil les reliait à un monde qui restait à découvrir. Ils pouvaient faire un vœu, et ce vœu se réaliserait sans faute, mais chacun savait que cela signifiait bien plus que la réalisation d’un désir. Car faire un vœu, c’est prendre conscience de mondes qui n’existaient encore jadis que dans son imaginaire. Faire un vœu, c’est donner forme à ce qui était jusque-là invisible. Et combien de dragons avant lui, issus de sa propre lignée, avaient faits des voeux, encore et encore, et qu’étaient-ils devenus à la fin ?
« Je ferai l’un de mes vœux pour toi. Je t’offre ma Voix. »
Le Zmei se retourna subitement et fit trembler la terre sous la frappe de sa queue. Des spirales en rouge et or jaillirent de ses narines, stoppant à quelques centimètres à peine des pieds de la Dame. Il était éveillé, les muscles tendus, mais la mâchoire serrée.
Imperturbable, la Dame répéta : « C’est ce qu’il en est désormais. Je t’ai offert ma Voix. Parlons maintenant du voyage—le voyage que tu entreprendras sous mon nom. Ce chemin, seul toi peux l’emprunter. Mais ne crois pas que ce sera facile de séparer ta voix de la mienne. En te donnant ma Voix, tu obtiens ma vision, ma détermination, et ma puissance. Nous nous retrouverons à la porte du Ciel, mais seulement lorsque tu seras prêt. »
(À suivre)
LEVER DE RIDEAU
11 novembre 2024
Le chahut avait atteint son apogée. Les murmures, autrefois discrets, traversaient désormais les portiques et s’étaient glissés vers les fenêtres cylindriques qui tapissaient un plafond de verre. Au théâtre de la non-prétention, il n’y avait que deux règles : on est soit le miroir dont l’intimité de l’autre se dévoilera sous les yeux de tous, soit le revers de ce même miroir où cette intimité se voilera de ses secrets les plus saugrenus. Les miroirs à l’affiche seraient les jeux des comédiens dévoilant la scène du monde actuel aux spectateurs. Les spectateurs, quant à eux, représentaient bien entendu le revers du miroir. D’ailleurs, c’est ce qui les rendait encore plus fébriles ce soir. L’idée de pouvoir entrer en scène sans en faire partie leur donnait l’illusion du pouvoir absolu. Ils jugeraient, mais ne seraient point pointés du doigt par leur miroir. Ils accepteraient ou rejetteraient les défauts qu’on leur présenterait. Ils étaient gâtés par un éventail de choix. Ils aimeraient ou haïraient ce que l’on mimait de leurs façons d’être et de devenir. Ils accorderaient leur pitié au besoin, mais ne feraient pas partie de ceux que la civilisation humaine plaindrait en retour. Oh ! Quel doux sentiment que de se sentir à l’abri du regard de l’autre tout en étant soi-même affublé du rôle de voyeur invisible. Et qui dit voyeur dit sentence bien visible, mais une sentence pour l’autre uniquement. Les marionnettes, ainsi que ces braves gens de la haute société, se léchaient les babines. Ils n’attendaient que le relèvement du rideau pour prendre des notes et élever leurs voix contre les injustices qu’ils avaient eux-mêmes perpétrées dans le cycle de la vie. Le miroir n’était après tout qu’une pièce montée. Les marionnettes en avaient pris conscience il y a longtemps, mais leur personnalité rigide ne leur permettait plus de grandes manœuvres. Elles s’étaient accoutumées à un rôle spécifique qu’il leur fallait exercer à chaque période de l’existence, et elles s’en tenaient à cela depuis le début du monde. Les braves gens, en revanche, étaient dotés de sentience et de la faculté de présence. Présents en âme, sentients en esprit, mais absents en conscience. Les marionnettes les plaignaient en toute subtilité. Que n’auraient-ils pas sacrifié afin de détenir eux-mêmes les mêmes cadeaux du libre arbitre que détenaient ces humains inconscients ? Mais ainsi va la vie humaine. La marionnette observe et critique le spectateur, qui observe et critique à son tour le comédien. Néanmoins, aucune de ces audiences n’avait eu la conscience requise pour se rappeler qu’ils étaient tous observés. L’illumination baissait. La comédie allait pouvoir se jouer. Tous cherchèrent le rang qui leur avait été attribué.
Et le silence se tut.
Assis au fond de la régie, le Justicier Divin observait sereinement le déploiement des trois actes. Il prenait des notes sur le jeu des acteurs, mais ne jugeait point. Il assimilait la présence de tous, mais ne portait aucune critique. Il voyait bien au-delà de la pièce, mais ne réagissait point.
Il n’avait en fait qu’une question qui lui troublait l’esprit depuis que le lever du rideau avait annoncé l’entrée dans la pénombre.
Où se cachait le véritable metteur en scène ?
L’ENFANT EST UNE PERSONNE
4 novembre 2024
L’enfant les écoutait à peine. Absorbée par son dessin, elle ne sentait guère les sanglots qui reposaient audacieusement sur son crâne lisse, marqué par les ravages de la maladie. Elle allait mourir. Elle le savait déjà. Elle le leur avait maintes fois affirmé. Mais les adultes l'écoutaient à peine. Un cercle de fumée noire crispait le brouhaha autour de son lit. Tout le monde gigotait : colère, détresse, amertume, marchandage... Prières. L’enfant priait aussi, mais elle priait surtout qu’on l’écoutât, pour qu’elle puisse enfin leur parler de son histoire à elle, celle qu’elle avait conçue avant même sa naissance. Celle qui, elle en était certaine, aurait offert la véritable trajectoire de guérison à ceux qu’elle chérissait le plus. Mais personne ne l’entendait. Personne ne l’écoutait. Personne, en fait, ne la comprenait. On parlait de son histoire à elle comme si elle n’avait aucune racine propre ; chacun en faisait des hypothèses, des récits accrochés à l’espoir, mais pas à son espoir à elle, non. Elle, elle était « trop petite pour comprendre », « trop jeune pour une maladie si terrible », « trop inconsciente pour comprendre les discussions des grands ». Et pourtant, le filament principal de son histoire était ce qui se manifestait dans sa propre chair. Les chuchotements en sa présence n’en finissaient plus. Elle avait été soumise aux rêves, aux désirs et aux projections de ses parents. Depuis qu’elle avait été ce bébé choyé, dorloté et aimé, elle portait sur son dos, un futur créé par les yeux dévoués de ses parents, et tout tracé du point de départ de leurs origines. Ils n’avaient cessé de la construire psychiquement. Notre fille, elle « allait devenir » ou on « irait faire ceci pour elle » et très souvent « notre fille, elle est comme moi et toi, elle a tes yeux et mon cœur ».
L’enfant apportait les touches finales à son dessin. Elle appuya un crayon rouge avec force sur la robe de sa maman et y remplit chacun des motifs à pois. Maman était celle qui faisait trembler tous les toits par son dynamisme, sa rudesse et son acharnement. Maman, c’est la montagne qui gronde à chaque coup de minuit. Mais Maman, c’est aussi celle qui laissait pleuvoir des gouttes de tendresse et de peine sur la tête de l’enfant. Dans le filament de sa parenté, son énergie féminine s’étouffait. C’est l’enfant qui s’était jetée à l’eau afin que la mère puisse vivre son histoire jusqu’au bout. Et pourtant, c’est dans la nature des mamans de tendre le bras et de bousculer l’enfant avant que l’impardonnable ne se produise. Les mamans éduquent même lorsque le chemin est parsemé d’épines. Maman comprendrait-elle un jour ce sacrifice ? L’enfant remplaça les yeux de sa mère par deux cœurs. Elle choisit par la suite un crayon bleu marine et remplit avec tout le soin du monde les contours de la chemise et du pantalon de son papa. « Papa Blues, moi aussi, je te fais don de la parole aujourd’hui. » Et la petite fille pensa au dessin, l’imbibant de sagesse et de sérénité. Elle se souviendrait toujours de la transmission généalogique qu’on lui avait léguée à sa naissance. Les ancêtres s’infiltraient toujours à travers la progéniture à laquelle ils étaient rattachés. Ils tiraient à hue et à dia, chacun tentant de guider leur descendance à sa manière. L’enfant se disait qu’ils avaient quand même le mérite de la persévérance et qu’elle avait donc accepté d’accueillir leurs passés et de détruire le mal à travers son passage. Dans l’histoire qu’on lui avait imposée, sa mère dictait les chemins à parcourir par la famille alors que son père n’était qu’une soupape qui les contenait tous. Bientôt la soupape exploserait et les ponts s’effondreraient. L’enfant en avait plus que conscience. C’est pour cela qu’elle leur faisait aujourd’hui un dessin d’adieu. Celui qui détiendrait le véritable sceau de son histoire à elle, celle qu’elle aurait aimé vivre en joie et paix aux côtés de Maman Rouge et de Papa Blues. Si seulement, ils pouvaient l’écouter… savoir qu’elle existait encore, qu’elle était elle-même une forme d’existence, une véritable personne.
L’enfant rajouta deux ailes d’ange à ses bras. Elle s’était dessinée de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Elle tenait les mains de ses parents et les survolait car elle allait bientôt se retrouver au Ciel. C’était le moment. Elle se sentait ragaillardie. Ils comprendraient. Ils accepteraient. Ils guériraient. Peut-être. Un jour. Peut-être bien.
Et sur ce, elle brandit son dessin et se tourna avec un sourire vers le monde des adultes. Elle trouverait bien une paire de grandes oreilles et avec elles, marquer finalement son histoire.
L'ENCHANTEUR
28 Octobre 2024
L’enchanteur avait pu placer ses oraisons au repos. Autour de lui, une lumière d’une brillance iridescente éclaboussait tout ce qu’il touchait du regard, et il transformait aussi tout cela en lumière. À ce moment précis, il le sut. Tous se trouvèrent bénis par la gloire qu’il avait finalement atteinte. Désigné comme Sauveur, son cœur priait désormais tout seul, sans qu’il en fasse lui-même la demande. Les mains jointes sous le menton, il s’efforçait de maintenir son souffle en équilibre, et pourtant… tout l’Univers venait vers lui, au fin fond de ce cœur qu’il avait continuellement empli d’amour, de pardon et de miséricorde. Il était l’univers de cet univers, mais ne connaissait point cet univers. Des cercles se mirent à tournoyer, générant des espaces humains distincts à guérir : il y avait les humains qui avaient été bannis du royaume, ceux qui s’étaient endurcis face aux ravages du temps, ceux qui s’étaient égarés dans leurs mémoires, mais surtout ceux qui avaient tout oublié de leurs origines. Ce sont ces derniers qu’il avait longtemps recherchés. Il les considérait comme les cas les plus difficiles à déconstruire, puisque pour eux tout n’était que masque, costume et mimétisme. Peler les identités désuètes, certes, mais à quel prix ? On ne perd pas une vie sans laisser de tache indélébile sur les vies de ceux qui souffriront de notre souffrance. On ne prend pas la vie de l’autre non plus sans absorber la souffrance que nous leur avons infligée. Hélas, ceux qui ont tout oublié nagent dans une soupape de lait amnésique qui offre réconfort et chaleur. Et ils oublient souvent que ce sont eux, l’élément de la bienfaisance sur Terre.
Car sans le Bien, comment construire et évoluer en amour, en pardon et en miséricorde ?
L’Enchanteur sentit son regard traverser les cercles pour se poser enfin sur un point noir. C’était un tout petit point noir, fauve et instable, bouillonnant et grossissant à longueur de vue. Ce point était la fin, l’éclat, la destruction, mais aussi une révélation. Certains humains se partageaient l’illusion du véritable amour. Ces amants avares restent maîtres de leurs propres cages. Ils reniflent au maximum la senteur de la rose pour mieux la gommer à leur cœur et ainsi la retenir le plus longtemps possible à l'intérieur. Cette réalité est triste, car ils ne réalisent pas que le parfum de la rose se boursouflera toujours, qu'elle soit captive ou non. Telle est faite la nature du Bien. Telle est faite la nature tout court. Et malgré toute la peine qu’on leur inflige, les roses continuent à marcher dans le ciel, saupoudrant les nuages de leur senteur de paix. Oui, elles étaient le Bien incarné.
L’Enchanteur n’avait usé d’aucun pouvoir de magicien lors de son périple. La magie n’est point réservée à la rédemption, mais à l’octroi du courage et de la vaillance aux chevaliers qui livrent la vraie bataille : celle du Bien contre le Mal.
Il était temps. Il l’avait compris. Il était prêt.
Et sur ce, l’Enchanteur souffla sur sa cape de magicien et en sortit l’épée blanche.
LE DILEMME DE NIETZSCHE
21 octobre 2024
Nietzsche était assis dans une maison sombre.
Face à obscurité, il se retrouva contraint de calmer son esprit. Il chercha les lueurs de pensées qui l'avaient autrefois baigné dans la lumière de l'espoir. Pourtant, dans le noir, ses yeux ne cherchaient plus, et lentement, il se sentit glisser à nouveau dans l'enfermement.
Nietzsche se laissa aller dans la maison sombre, son corps alourdi par le poids du néant. Cet isolement n'était pas de son propre choix, mais il savait qu'au fond de lui, le Tout avait toujours existé. Maintenant, le tout frémissait autour des portes de son esprit comme des ombres d'envie. Il se rappela que la porte était déverrouillée. Dans le vide, toute création n'était qu'illusion—mais malgré tout, il poussait, encore et encore. Il avait besoin que sa lignée ancestrale émerge, s'incarne, ressente, soit à nouveau dans le monde. L'oisiveté était en train de l'emporter, et il ne pouvait pas laisser cela arriver. Une fois que ses yeux avaient été privés de leur don de vision, il avait cessé de voir dans l'au-delà et il était tombé depuis. Avec une douleur aiguë au cœur, le père comprit qu'il avait perdu de vue Dieu, car Dieu ne s'assiérait pas avec lui dans une maison obscurcie. Une larme coula de chacun de ses yeux, et dans le silence, il murmura :
« Au commencement, il y avait le Chaos… »
Le fils aîné de Nietzsche était également assis dans la maison sombre.
Les paumes tendues vers l'extérieur, il attrapa les larmes du père, les berçant doucement. À cet instant, il fit un vœu—un vœu de transcendance. Ce que le père avait porté comme obscurité, le plus lourd des fardeaux de la lignée, le fils l'anéantirait par la pure force de son intellect divinement accompli. Ainsi, dans l'obscurité, le fils resta intact, marqué par aucune trace de désespoir. Il souffla de doux filets d'espoir, délicats et légers, enchantant même le vent avec leur lueur douce. Dans l'obscurité, les yeux du fils cherchaient la vie—quelque chose au-delà du néant qui les enveloppait. L'Instinct Créateur—celui enfoui profondément en lui—s'anima, s'enorgueillissant de la gloire de ce qu'il pouvait propulser vers l'avant.
Ainsi, le fils devint Nietzsche. Et en tant que Nietzsche, il éclaira la maison sombre de son ancêtre, et le monde se réjouit. Hélas, le fils avait un secret bien gardé. La lumière qui était maintenant celle de Nietzsche avait été empruntée aux cieux, et alors que le fils berçait doucement la sphère solaire qu'il gardait cachée sous son bras, il murmura lui aussi :
« À la fin, il n'y aura que la Lumière… »
Et il tendit la sphère solaire à sa fille.
LA FILLE QUI NAGEAIT DANS LES ÉTOILES
14 octobre 2024
À la lumière de la demi-lune, la fille au regard vanille soupira en voyant enfin apparaître le sommet de ce voyage nocturne sans fin. Des papillotements de fées éclairaient désormais la voie et se glissaient sous son regard las en l’y remplissant d’une lumière infinie. Elle étendit l’oreille avec angoisse et se retrouva enveloppée encore plus d’une lumière douce et emplie de sagesse. Les pas du chasseur s’étaient évaporés avec la brume. Elle pourrait poser sa valise et, avec celle-ci, cette mélancolie diurne qui n’était qu’un poids lourd sur son chemin. Un éclat de joie lui traversa soudainement l’esprit, et elle se sentit telle une enfant à la boutique de confiseries où sa mère lui achetait jadis ses petits gâteaux adoucis de sucre d’orge qu’elle affectionnait particulièrement.
La mémoire est un cadeau du ciel, car nos souvenirs nous guérissent, nous chérissent et nous portent vers l’au-delà. Et finalement, la partition des voiles lactées permit enfin à son cœur de renaître en vie, en jouvence, en espoir. Les cèdres couleur noisette murmuraient, et d’un coup de bâton magique, un feu apparut. Il brûla toutes les courbes qui se projetaient désormais sur son passage. Elle avait conquis la Nuit et était Reine-Marcheuse en Lumière. La victoire avait une senteur de miel, et elle demeura humble.
De l’autre côté du sommet, son âme sœur l’attendait. Juché sur les rochers, son regard quémandeur d’espoir traversa la distance qui demeurait entre eux, et le ciel fleurit en un seul bourgeon. Une chanson sans voix entonna dans l’air. Le masque était tombé, mais une cape noircie pesait lourd sur ses épaules à lui. Il lui restait tout un périple à terminer, mais il avait choisi de repousser l’obscurité encore et encore.
Au-dessus de leurs couronnes respectives, le soleil se mit à les miroiter, et une ondulation de vagues solaires poussa tout l’Univers à se concentrer sur leur sort. La fille accepta l’offrande du Ciel, mais ce n’était qu’un minuscule réconfort se glissant sur sa peau, sous sa peine…
Le déclic se produisit. Elle nageait désormais dans un bocal de lait étoilé. Candeur, douceur, lueurs... Elles avaient toutes sursauté et caillaient légèrement la toile cosmique. Le contrôle prit la première clé des champs et lui ouvrit tous les champs de vérités.
Le prince au regard vanille ne se trempait pas dans ce mélange. En nageant dans ses emblèmes, leurs souvenirs s'étaient tissés en un seul avenir. Les étoiles leur appartenaient désormais et étaient devenues maîtresses de leur univers.
La Voie lactée, quant à elle, devenait de plus en plus dorée. D'autres rêves restaient à explorer, mais elle tendit un doigt vers l'univers pour taire tout chahut, et le silence se fit.
Pour l'instant, elle ne voulait qu’être la fille qui nageait dans les étoiles.
LES PAPILLONS DU BORD DE L'EAU
7 octobre 2024
C’était un doux matin de décembre ; un peu comme tant d’autres vécus au fil des années de ma timide croissance. La tempête avait calmé les sanglots de la mer, et au-dessus d’une toile de sable sans ombre, trois papillons dansaient allégrement. Et à chaque tourbillon, elles fredonnaient :
« Tant que tu rêveras, la vie s’élancera avec toi.
Tant que tu espéreras, le vœu s’émerveillera pour toi.
Tant que tu essaieras, le chemin s’éclairera pour toi. »
Rêver. Espérer. M’essayer. Sur le chemin de la vie, je m'étais égarée dans des temples sans nom, mais le temps m’avait toujours pris en filature. En tentant de comprendre le passé de mes ancêtres, mon propre soi était tombé dans le monde des anciens. Mais rien ne m’avait préparé à vivre le périple que je m’apprêtais à entreprendre ce matin. Accrochée au cœur de l’île, j’entendis des vagues d’oraison me traverser l’esprit, mais je n’avais de pensée que pour une seule personne… Entouré par les papillons du bord de l’eau, notre merveilleux grand-père s’était attendri mais demeurait muet. Ses lèvres pinçaient le plus fortement possible la plénitude de mots qu’il souhaitait exprimer. Ses yeux bruns clairs, si similaires à ceux de chacun de ses petits-enfants ici présents, sillonnaient constamment le parcours des vagues ; cette eau marine, câline, qui lui touchait légèrement les pieds avant de se recroqueviller en une mousse dodue qu’elle lui balançait dès lors sans contrefaçon. Par nécessité de faire valoriser la douleur qu’il avait ressentie, il avait préféré s’éclipser hors du temple plutôt que de devoir se morfondre face à un choc de valeurs. Et je le comprenais tout à fait. J’avais la nette impression que notre famille nous avait lancés sur le sentier d’un passé abîmé. Le deuil est fauve.
À quelques pas de nous, une mince assemblée était juchée sur des rochers. Drapée d’un blanc ensoleillé, elle s’affairait à compléter les préparatifs d’un dernier adieu. Un prêtre-magicien repoussait ardemment les papillons du bord de l’eau tout en donnant ses consignes. Pétales de roses fanées, limes vertes tailladées, noix de coco brisées… tout ce mélange se mariait maintenant au lait de coco et à la mousse de l’eau de mer. Du coin de l’œil, je vis mon père enfoncer quelques bâtonnets d’encens dans une poignée de bananes, et je sus que les prières allaient commencer dans un instant. Quelques lampions de terre furent allumés et déposés gracieusement sur les cendres englouties par une amphore en argile. Une douce saveur de lavande s’échappa de l’encens et se fit réverbérer sur nos narines.
Grand-père ne bougea pas....
Personne ne savait trop comment s’y prendre avec lui à cet instant. Nous étions tous complices de ce deuil et provoquions une tendre amertume en choisissant à sa place le départ final de celle qu’il avait le plus chérie au cours de sa vie. Mais comme l’avait si bien dit le prêtre-magicien : « Nul ne peut se défiler face à nos coutumes ancestrales. » Pourtant, il me venait continuellement à l’esprit une très grande réticence face à ce genre de discours que je jugeais froid et archaïque. Du coin de l’œil, je continuais à observer Grand-père. Il avait fait fortune en tenant tête au destin familial et en s’aventurant aveuglément à la découverte d’autres sols et marées. Tantôt loin de l’île et tantôt proche, son périple fascinait, faisait tourner des têtes et, dans certaines circonstances, faisait douter les autres de sa lucidité. Et lorsqu’il contait ses voyages à tous ses petits-enfants, il me semblait toujours que j’avais suivi ses pas en allant moi-même à la recherche de temples disparus. Partager le même nom contribue après tout à créer des liens intemporels.
Grand-père ne bougeait toujours pas. Mais notre grand-mère, elle, avait cessé de faire partie de nos vies il y a déjà bien longtemps maintenant. Et les papillons m’insufflèrent l’essentiel : il était temps d’effacer ce secret de Polichinelle.
Les voiles du non-dit s’étaient aplatis à nos genoux, et il était de notre devoir de faire face avec courage à cet hommage final à notre grand-mère. Je tendis donc ma main à ce futur et lui insufflai, à travers une première larme visible, le désir d’aller de l’avant, de conquérir ma souffrance et de garder l’amour vivant, quoi qu’il puisse m’arriver… Ce serait l’emblème final que je graverais au nom de ma famille. Je serais l’étoile immuable. Nous ne faisions qu’un avec le reflet de la mer et nous ne ferions qu’un avec les étoiles du ciel qui miroiteraient bientôt cette eau. Le présent palpable reviendrait certainement un autre doux matin de décembre, et les rires fuseraient à nouveau.
Mais pour l’instant, je m’acquittai avec respect de ce rôle transféré par mes grands-parents ; celui d’être la lueur d’espoir des autres, tel un papillon blanc faisant rayonner des ciels moins bleus.
LES SEPT NATURES DE THÉSÉE
Chapitre 7: Dormienti nihil est arduum
(Rien n’est difficile pour celui qui dort)
9 septembre 2024
Le Prédateur souffrait en silence.
Muni de sa nouvelle faculté de raisonner, son esprit travaillait dur pour détecter les lacunes de ses sept natures, et le nouveau cœur qui se formait à l’intérieur de lui le faisait ressentir, pour la première fois de sa vie, de véritables sentiments forts et profonds… des sentiments puisés d’amour ? Certes, il avait pensé aimer jadis. Il aimait se faire plaisir. Il aimait rendre sa vie agréable. Il aimait surtout ses capacités précédentes à tout avoir, tout consommer, tout prendre sans devoir culpabiliser, ressentir, réfléchir. La cruauté de l’acte de prédation qu’il avait imposé à chacune de ses victimes, dans le seul but de satisfaire le costume de la bête qui le prédatait en retour, était une pilule difficilement avalable.
Le Prédateur se mit à gémir d’angoisse.
Le dos tourné au fond du lac, il faisait la planche tout en fixant attentivement l’épaisse couche de bleu minuit qui coloriait les histoires qui se produisaient sous son épaisse toile de velours. À l’horizon, il apercevait des nuances de bleu clair annonçant l’arrivée imminente de l’aube et de son Impératrice. Thésée lui avait montré le revers du vice et ce qui existait dans un au-delà du labyrinthe, là où une privation de la vertu était ce qui faisait souffrir le plus. Cela avait grandement étonné le Prédateur. La nature de la prédation est telle que l’autre n’est que commodité ou utilité. L’autre, c’est ce qui permet à l’oisiveté chez soi de persister et de devenir essentiel pour sa qualité de vie à soi. Il avait utilisé l’autre comme cadeau offert à l’autel sacrificiel de la nature de prédation, mais alors qu’il s’attendait à être sacrifié lui aussi, la Nature avait refusé son geste. Il ne pourrait mourir et retourner vers la Nature. C’était la Nature qui s’était retournée contre lui et qui le poussait désormais à flotter, résigné et angoissé, en attendant l’inévitable.
Jugement. Verdict. Sentence… Destruction ?
Malgré les souffles d’air chaud de cette belle nuit d’été, le Prédateur ne put s’empêcher de frissonner. Il avait demandé pardon, rédemption et réparation des torts, mais ses prières ne semblèrent pas avoir été entendues. Le justicier ne lui avait pas fait de sermon ; Mère Nature n’avait point accepté qu’il retourne vers elle, et voilà que l’Impératrice avait sonné le glas. Un sort insupportable l’attendait sûrement. Serait-il aussi puni après avoir été banni de ses royaumes ? N’avait-il pas été suffisamment puni justement à travers les pensées angoissantes et le sentiment de remords incessant qui accablait tout son être depuis que son âme avait été marquée du sceau indélébile de la lumière ?
De l’autre côté du miroir, Thésée instrumentalisait sa jonque afin de la préparer pour leur nouvelle mission. Il était prêt et avait le cœur serré en lâchant prise une fois de plus avec son fils qu’il ne verrait pas grandir jour après jour, mais dont toute la destinée avait été transformée grâce à son sacrifice ultime. Tel que demandé par sa Hiérarchie, il avait enlevé chacune des natures destructrices du Prédateur avec compassion, sauf une. La dernière. Celle qu’il entendait et observait passivement en ce moment même. Thésée jeta un sac de provisions et une cuve d’eau au fond de la jonque avant d’y embarquer et de prendre la première rame. Il sourit à Nepheus, qui observait tout aussi curieusement la boule noircie et poilue qui flottait sur l’eau tout en marmonnant.
En soulevant la main sous forme d’adieu, il expliqua simplement : « C’est la paresse qui lui avait ramolli l’esprit. Maintenant qu’il a de nouveau l’esprit, il ramollira lui-même sa paresse… et de là, comprendra comment offrir une Justice pure et vraie aux mondes qu’il a infectés. »
Et sur ce, il poussa sa jonque et se dirigea vers d’autres cieux.
(FIN)
LES SEPT NATURES DE THÉSÉE
Chapitre 6 - « Ni du Schadenfreude ni du Freudenfreude »
2 septembre 2024
Le Prédateur malade se sentait étranger à sa propre patrie.
Rejeté par les royaumes des siens, des cieux et des hommes, il pataugeait désormais dans une mare voluptueuse qu’il qualifiait de monde insensé. Dépourvu de cinq des natures qui l’accompagnaient jadis dans sa capacité à réfléchir au sens et à l’indifférence chez ses victimes, il demeurait las, mais les yeux éblouis par la majestuosité de cette énergie vitale et vivante qui se faufilait avec douceur sous sa peau. Pulsion. Instinct. Désir. Voilà ce qui demeurait en lui. Voilà sa véritable nature. Il jalousait ce que sa propre conscience ne pouvait lui apporter et enviait ce que les consciences des autres lui apportaient. Il ne voulait plus les manger, s’assouvir de leurs biens ou même s’émerveiller de joie face à la saveur enivrante du sacrifice des pères et mères défendant corps et âme les vies précieuses de leurs enfants… Non, ce qu’il voulait, c’était encore et toujours ce dont il ne comprenait pas l’essentiel, ce dont il n’avait aucun droit de naissance, ce dont l’autre possédait sous forme de don de vie. Il voulait la vie, il leur volait l’espoir. Mais non, rien de tout cela ne pouvait être péché. Il agissait par nature. Il ne ressentait pas de plaisir durant l’acte de voler, de détruire, de consommer. En fait, il ne connaissait point le plaisir. Il était un être pulsionnel. Agir, manger, dévorer, détruire, savourer, terrifier, tous ces actes ne faisaient que combler le besoin de la pulsion de se muer en silence et de retrouver le sommeil. Sa conscience avait été aveuglée à sa naissance. Il n’était qu’un… malade imaginé par les rois de la prédation. Était-il donc prédateur ou une image de la prédation ? Endossait-il le rôle de sa vraie nature ou sa nature se camouflait-elle sous forme de pantin guidé par une force qui surmontait ce qu’il était réellement ?
Le prédateur était devenu étranger à lui-même. Il jalousait sans en comprendre le sens. Agis, agis, agis ! Agis maintenant ! C’est ce que lui hurlait son esprit. Mais pour la première fois depuis sa conception, le prédateur avait été nourri de raisonnement. Et il raisonnait enfin. Agir, oui, mais dans quel but, pour quelle raison et pour offrir satisfaction à qui ? Devenait-il enfin un prototype humain ? Agir, oui, blesser, oui, terroriser, oui… mais sans en connaître et surtout comprendre les motivations profondes qui l’animaient ? Le prédateur sentait bien la présence du Justicier à ses côtés. Il ne savait pas si cette expérience étrangère signifiait qu’il faisait enfin une traversée hors du corps et qu’il découvrait ses erreurs, ses faiblesses, ses limitations et peut-être même… de la compassion ? Les larmes coulaient mais son cœur s’effondrait. Non, il n’y avait pas encore de compassion. Il n’en comprenait pas la nature. Le chemin demeurerait long et ardu. La capacité de raisonner était étouffée par le besoin de prédation de Celui qui lui manipulait les ficelles depuis le début. Mais alors, en ce cas, qui avait la responsabilité de tous les êtres dont les vies avaient été détruites ? Lui ou sa prédation ? Était-il sa nature et devait-il être puni ?
Ému, il osa se tourner vers la présence du Justicier et entonna d’une voix basse : « Je me confesse à toi. Je reconnais en mon esprit mes fautes. J’accepte avoir commis du tort à autrui. Mais tout fut commis dans un moment que nous appelons l’instant présent. L’acte s’est forgé dans le passé et la réparation se fera dans le futur. Tout de mon être m’indique que maintenant serait le moment idéal pour me repentir, l’éprouver, le ressentir et agir afin de réparer… mais qu’est-ce que la repentance si ma propre conscience ne me permet point de repérer ma véritable nature ? … »
Le Justicier ne répondit point. Il était marcheur de jour. Tout se comblait à travers sa nature.
Et le prédateur reçut en connaissance… Sa maladie était rattachée au plaisir mais pas à lui. Le plaisir se rattachait à lui mais pas à sa nature. Sa nature… non, sa nature n’était pas rattachée à lui. Au royaume des pantins, il était devenu un étranger ayant touché le sommet des ficelles.
(À suivre ...)
LES SEPT NATURES DE THÉSÉE
Chapitre 5 - « Manège épicurien, jeûneur repenti »
26 août 2024
Le calme ordinairement velouté du crépuscule se posa tel un grand coup sec aux pieds de Thésée et de Nepheus. Celui-ci prit immédiatement la main de son père et se cacha le visage derrière son bouclier. Contrairement aux salutations solennelles de Thésée, il demeurait bouche bée et laissait entrouverts des grands yeux or-bleutés, reflet symbolique de ses propres origines divines. Et lors de ce court instant, toute l’innocence de l’enfant jaillit à travers la terre. Nepheus n’avait après tout connu Mère Nature que dans toute sa splendeur. Elle était celle dont les sons apaisants des rivières le berçaient le soir alors qu’il composait des oraisons, celle qui lui apprenait vaillance et humilité à travers les responsabilités qu’on lui y léguait à chaque transformation de saison et surtout celle qui l’enveloppait dans un cocon d’amour chaque jour où le soleil brillait. Mais jamais ô jamais n’avait-il connu l’épuisement, la douleur et le désenchantement chez Mère Nature. Tel que le lui avait demandé initialement le Justicier, Mère Nature avait quant à elle sacrifié toute la longueur de sa côte ouest afin de couver le Prédateur malade de cadeaux éphémères. Et elle s’en était elle-même trouvée malaisée et blessée coup après coup. Un court moment de plaisir pour l’exécuteur et un cancer à vie pour la sacrifiée, tel en fut le malheureux résultat. Cependant, ce fut ce sacrifice qui avait permis à Thésée de n’éveiller à aucun moment les soupçons de l’armée du mal. Il avait suivi les directives de l’étoile d’Andromède à la lettre et s’était laissé pousser par la douce brise d’un courageux zéphyr alors que la jonque traversait caverne après caverne de restes de villageois ayant servi à satisfaire ne serait-ce que temporairement le ventre repu du bourreau. Et finalement, il avait rejoint le domaine du prince de la prédation lui-même, source de tous les maux allant à l’encontre des sept natures humano-divines. Sa première rencontre avec le prédateur l’avait en fait surpris et gêné. Il s’attendait à une démonstration d’une intelligence suprême mais avait au contraire fait face à une série de sept structures caricaturales qu’il avait trouvées insipides et laides. Il avait trouvé la réponse sur le champ et s’était depuis dépêché de détruire chacune des caricatures du prédateur à travers la plus inattendue des pouvoirs : la capacité de la véritable nature à reprendre sa place.
Thésée serra la main de son petit garçon et le rassura de son énergie bienveillante. Il posa respectueusement ses armes aux pieds des anges du crépuscule et s’agenouilla. Tête baissée et le cœur s’inondant d’amour, il porta une iris observatrice vers le prédateur et se mit en simultané à demander pardon à tous les éléments de la Nature…
De l’autre côté de la mentalisation de Thésée, il aperçut le prédateur qui gisait lui aussi dans une mare de calme. Ses griffes avaient complètement fondu après avoir maintes fois tenté de l’atteindre à travers l’eau mystérieuse. Les bras écartés, les yeux mégalomanes de ce prince devenu créature se vouaient d’admiration pour les étoiles qui scintillaient au-dessus de lui. Revêtus de leurs plus beaux habits nocturnes, ils dansaient pour le Ciel et partageaient la richesse de leur bonté et de leur gloire à tous les peuples du bas monde. Et le prédateur les voulait. Il voulait tout du monde, surtout de ce qui ne lui appartenait pas mais qui lui semblait être aussi grandiose que le faux-palais où il avait élu domicile. Mais plus il en voulait, plus son ventre se dégonflait. Il relâchait. Il relâcha d’abord les paysans en leur léguant ses propres terres et en leur demandant pardon. Il relâcha ensuite les royaumes de l’au-delà et leur demanda aussi pardon. Il relâcha sa propre nature de lâche et se demanda pardon à lui-même. Il ne s’aimait pourtant pas. Il ne connaissait point l’amour. Il s’était épris de ce que l’autre avait et de ce qui lui manquait en lui-même mais il n’avait jamais connu l’Amour. Pourtant, en ce soir-là, le prédateur sentit une larme courir le long de sa joue braisée et se glisser en son cœur. Et du Cœur de l’Univers lui apparut le Justicier…
(À suivre ...)
LES SEPT NATURES DE THÉSEÉ
Chapitre 4 - « Voix de Bronze, Voie de Pierre »
19 août 2024
Thésée effleura un coin du portail rouillé de ses doigts tout aussi rugueux. Il était pieds nus et lâchait graduellement prise. Il se sentait en paix face à cette nature ravageuse et en effervescence. Elle n’avait point laissé se façonner en elle les immondices de l’homme primate et avait maîtrisé chacune des batailles que l’on avait osées lui livrer à sa porte. Se sentant enrobée par cette chaleur terrienne que seule Mère Nature pouvait prodiguer, Thésée laissa vagabonder son esprit et se sentit apaisé et revigoré. En tant que marin ayant fait la promesse sacrée de restaurer les derniers des humanisés, il avait poussé la force de son corps jusqu’au summum de sa capacité et avait constamment craint le pire pendant sept longues années. Les caprices des ogres de la mer l’avaient maintes fois terrorisés mais à chaque fois qu’il avait senti la fin le dérober de sa jeune vie, l’alliance du Ciel avait apparu. On l’avait protégé, choyé, transformé. Et il n’en ressentait qu’une immense gratitude.
Du coin de l’œil, il sourit en apercevant l’ombre égaré de son seul et unique enfant. Nepheus, fils ayant naquit dans l’espace se situant entre l’univers de la divinité et l’univers de l’humanité était l’image précieuse des deux parties symboliques de la même portée de lumière et à chaque battement de son âme, un peu plus d’amour se produisait sur ce sol sur lequel marchait enfin le Père. Thésée ramassa au passage l’ombre et le cœur de son fils et les porta en lui telle une couronne précieuse. Nepheus se trouvait quant à lui sur une colline parsemée de tiges de cotton, œuvre sorti tout droit des facultés de mentalisation de Thésée où il avait trouvé moyen de protéger l’identité de sa famille lors de ses multiples périples. À chaque fois qu’il en ressentait le besoin, c’est dans son esprit qu’il les rejoignait, le seul esprit sain et éclairé de la troupe de marins dont il avait initialement fait partie. Loin de la cave de l’étrange et de la présence du Prédateur malade, le cœur de Nepheus ne ferait qu’évoluer en humanisation et c’est ce que recherchait Thésée. Sa famille ferait partie du nouveau monde des humains, un monde d’humains surhumanisés où l’Amour serait Roi et les civilisations ne se reposeraient que sur les préceptes du Juste et du Bien.
Au loin, ils entendirent rugir la voix tonitruante du Prédateur. Il avait personnifié la furie et ébranlait les fondements mêmes de la cave. Il griffait, giflait et grognait tel un orage déchaîné mais à chaque coup de patte donné dans l’eau, les lames continuaient à se rapetisser. En fin de compte, il ne resta plus autour de lui que le bleu azur du ciel et de la mer. Ses cicatrices se mirent à lui brûler la peau.
Nepheus se tourna vers son père avec intrigue : « Mais pourquoi avait-il autant besoin de faire la grosse voix pour se faire entendre ce Monsieur? »
Thésée porta un moment de réflexion à la question avant d’annoncer au monde plus juste qu’il venait de restaurer :
« Qui dit voix de bronze dit voie de pierre ».
(À suivre)
LES SEPT NATURES DE THÉSEÉ
Chapitre 3 - « Bouillon, Tourbillon »
12 août 2024
La faible lumière de la demi-lune frissonnait en se faufilant à travers la paroi du labyrinthe sans fin. Des nuages noirs envahissants tentaient vainement de lui clouer ses joues mais leurs efforts ne furent récompensés qu’en se transformant en flammes blanches qui assainissaient tout sur leur passage. Avarichio et Avarichia s’étaient auto-engloutis et étaient enfouis au creux d’une prison ronde et dodue dont les deux fenêtres cylindriques ne laissaient paraître que leurs museaux. Malgré leur pénible sentence, les jumeaux ne cessaient de renifler le doux air vanillé qui les entourait. Ils s’étaient enorgueillis de leurs excès tout au long de leurs jeunes vies et ne pouvaient désormais plus s’arrêter. Il était malheureux pour le Prédateur malade de constater qu’une proposition de sur-jouissance ne donnait point naissance à d’autres vies mais réduisait plutôt la consommation de celle-ci à l’anéantissement total du soi.
Thésée brisa une fois de plus le silence avec sa voix calme et angélique :
« Tu es un prédateur. Il est de ta nature de convoiter l’autre mais là où tu commets l’irréparable, c’est en convoitant l’autre dans un désir de malfaisance. On ne se nourrit pas du corps innocent de l’autre sans conséquence sur soi-même. On n’assouvit pas sa propre faim en se nourrissant de chairs et d'os que notre propre chair aurait rejetés. Tout donc de ce monde ne peut t’appartenir exclusivement puisqu’une partie de toi-même appartiendra certainement à l’autre face à cette approche. Il ne te reste qu’un choix : désirer en tout temps la bienfaisance. »
Atterré par ce qui venait de se produire, le prédateur sentit monter en lui un tourbillon de rage sans refuge. Les mots de Thésée ne lui parvenaient point jusqu’au cerveau puisque les nuages noircis de son enfance obscurcissaient son regard et sa morale. Il se sentait perdu, confus, terrifié tel un enfant ayant perdu un jouet préféré. Bombant le torse et ouvrant en grand sa bouche insatiable, le prédateur rugit : « Tais-toi Thésée ! C’est de ton cœur que je me nourrirai ce soir. »
Certes, il ne pouvait atteindre le conquérant conquis à travers l’eau qui les séparait mais il pourrait certainement tout engloutir de l’univers qu’il avait créé. Il engloutirait Thésée en engloutissant sa propre caverne. Il n’était plus avare. Il pouvait désormais faire don d’une partie de son soi à son propre corps et chercherait un autre labyrinthe à consommer. Rien n’était inatteignable. Le corps du labyrinthe lui appartenait après tout depuis des décennies et il n’en avait jamais souffert. Il avait au contraire consommé des peuples et des villages d’innocents en suivant le même rituel qu’en ce moment. Sur ce, le prédateur dressa une table et y installa une marmite où bouillonnait une soupe de couleur pieuvre…
D’un mouvement vif, Thésée descendit le doigt qui pointait toujours le centre du cœur jusqu’au nombril de l’ennemi. Il y dessina en énergie et en symbolisme une rose écarlate à l'envers avant d’ouvrir ses paumes vers le haut et de commander à la voûte de s’ouvrir. Toute l’armée d’anges de Thésée descendit subitement et s’attablèrent autour de la marmite. Une odeur exquise d’anis et de sucre d’orge monta au ciel et la soupe devint elle-même d'une couleur bleu azur. La rose écarlate pâlit jusqu’à s’adoucir en une couleur plus rosée et elle reprit sa position d’origine. De là-haut, l’Ange Arcturus ouvrit ses ailes et recouvrit le prédateur d’une offrande dorée. Hypnotisé, le prédateur ne bougeait plus. Au sein de son nombril, tous les univers qu’il avait précédemment engloutis se mirent à s’échapper un à un et à chaque relâchement, on lui répéta ces paroles à l’oreille droite :
« Je te pardonne mais le pardon ultime appartient au Justicier.»
(À suivre )
LES SEPT NATURES DE THÉSÉE
Chapitre 2 - « Manger, Être Mangé »
5 août 2024
La cave étrange où il se trouvait était boursouflée d’une odeur d’encre humide. Au coin des yeux, Thésée vit apparaître quelques lucioles aux ailes translucides et à l’aura dorée. Elles tournoyaient sur elles-mêmes, faisant resurgir sur les murs tous ces mots et marques laissés par les sacrifiés du passé qui avaient osé laisser un dernier cadeau à ceux qui les retrouveraient un jour : leurs rêves inavoués et inachevés.
Le Prédateur malade s’était quant à lui rassis et demeurait perplexe. Quelque chose bourdonnait au fond de lui-même, là où le doigt de Thésée ne cessait de pointer. Il n’avait point de cœur et ce fourmillement inhabituel le perturbait tout autant que ses griffes ramollies. Il n’avait pas non plus de conscience et n’avait comme seule capacité de réflexion que les dons qu'il avait volés au fil des années aux nombreux villageois qui osaient s'aventurer en son royaume. Malheureusement, il comprit très vite qu’aucun des dons ne lui procuraient la mentalisation nécessaire pour percer le mystère de Thésée, guerrier indomptable des mers. Il détenait cependant, de nature, une force surhumaine qu’il se plaisait à associer à la même force qu’il imaginait que le Ciel au-dessus de lui aurait – la force d'accaparement sans résistance. Certains appelleraient cela certainement 'la cupidité' mais le Prédateur n’y faisait fi de telles remarques désobligeantes, surtout qu'il avait pris l'habitude de dévorer tout orateur révolté qui osait prononcer ces mots à son égard.
« Je suis venu en paix et j’aimerais offrir le cadeau de la jouissance éternelle aux jumeaux Avarichio et Avarichia. »
La voix calme de Thésée traversa l’espace entre eux deux et mit fin aux bulles de réflexion qui s’évaporaient en gouttelettes au-dessus de leurs deux têtes. Levant le doigt vers la gorge du Prédateur, il rajouta : « Ils n’attendent que ta permission pour leur donner le droit de ramener en ce corps que tu portes, toutes les richesses que j’ai accumulé au courant de mes nombreux périples. »
Les lèvres dodues du Prédateur s’élargirent en un sourire glouton et carnassier : « Puisque tu m’offres de toi en toute générosité, Il En Sera Donc Ainsi! ». Et sur ce, il poussa un rugissement tellement féroce que deux petites bêtes noires identiquement poilues et dodues naquirent et prirent leurs premiers souffles de vie sur le sol rocailleux. Elles n’avaient pour yeux que deux trous béants dans lesquels on pouvait apercevoir des restants de braises d’un jardin jadis consommé mais ce qui frappait le plus, c’étaient leurs énormes mâchoires à déchiqueter dont la reliure en acier contrastait avidement avec la couleur en or des lucioles qui babillaient tranquillement sur le recoin de mur de Thésée. Plus goulues que le Prédateur mais propres à sa chair et à son sang, elles cherchaient avidement à plonger leurs griffes dans l’eau et à posséder tout ce qui en formait partie de sa nature. Face à l’avarice qui les identifiait en sens et en nom, elles se laissaient ramollir les griffes n'ayant d’yeux que pour celui qui les avait promis l'éternel. Les jumeaux n’avaient point d'âme et avaient été forgés d’une seule et même nature : celle d'engloutir.
Du fond de la jonque, Thésée repéra un tissu à carreaux qui renfermait soigneusement une miche de pain rustique ainsi qu'une cruche contenant un liquide bleu azuré. Il offrit simultanément de sa main droite, la miche entière à Avarichia et de sa main gauche, un verre du liquide bleu à Avarichio. À peine eut-il le temps d’extirper ses propres mains que les jumeaux se mirent à s’entre-engloutir. Le pain était devenu l’obsession d’Avarichio et le liquide, la possession d’Avarichia.
Thésée porta son propre verre à ses lèvres et prit une seule gorgée du liquide avant de saluer le Prédateur :
« Manger, c’est aussi être mangé … Ainsi soit-il »
(À suivre)
LES SEPT NATURES DE THÉSÉE
Chapitre 1 - « Conquérant Conquis »
29 juillet 2024
Assis au fin fond de la jonque, Thésée s’était mû de silence. Il contemplait les rêves déchus du peuple des innocents. Leurs souhaits des derniers moments avaient envahi toute la paroisse et se révélaient au fur et à mesure qu’il naviguait. Dessinés allègrement avec des pinceaux d’argile – cadeaux de départ soigneusement légués par le Prédateur, maître des lieux, en honneur du sacrifice ultime du don de la vie en échange de la protection d’un peuple – chaque dessin avait laissé une trace indélébile dans les souvenirs conquis de la grotte.
Caché derrière un grand rocher noir, le Prédateur malade guettait chacun de ses gestes d’un œil rougeoyé et affamé. Miroitant Thésée en gestes et paroles, il s’était lui aussi mû de silence. Son ventre rebu gloussa de plaisir. Il ne résisterait point à l’envie de sacrifier sur l’autel celui qui avait été connu mythiquement comme étant le guerrier indomptable des mers. Ce serait le cadeau ultime qu’il s’offrirait de lui à lui-même. Il ne comprenait point la formation héroïque de ce courageux voyageur qui, contrairement aux autres moutons de panurge auxquels il s’était habitué, avait choisi délibérément de traverser les fins fonds de la terre afin de le retrouver.
Le Prédateur sentit monter en lui un sourire narquois.
« Thésée, mon cher Thésée, te voilà bien mal en point. Tu as atteint le cœur de mon labyrinthe secret. Nul n’aura trouvé le chemin du retour jusqu’à ce jour et j’ai bien hâte de goûter à ta destinée, de m’enrober de ta mémoire et de m’assouvir de ton cadeau de vie. »
Et sur ce, le Prédateur leva sa patte sacrificielle et d’un tonitruant cri de guerre, tenta d’accrocher le bateau. Les sept griffes plongèrent dans l’eau et en ressortirent avec des lames bien moins pointues qu’avant. Ébahi, le Prédateur tenta encore et encore de s’attaquer au bateau mais la forme humaine ne cessait de s’évaporer et chaque grand coup de griffe plongeant dans l’eau rapetissait encore plus les lames.
« Malheureux, mais que m’as-tu fait! »
Thésée leva des iris d’or vers la pénombre vacillante du Prédateur. Une couronne d’aura blanche à peine perceptible trottait au-dessus d’eux. D’une voix calme et réfléchie, il répliqua :
« Nous voilà tous les deux donc bien mal en point, Prédateur… Tu ne peux m’atteindre car je ne détiens point de tes sept passions. Hélas, je ne peux moi non plus t’atteindre car aucune de mes sept natures n’ont été cartographiées en toi. Si nous n’existons point l’un en l’autre, nous ne pourrons point nous équilibrer… ou au contraire nous détruire »
Haletant, le Prédateur se redressa dans toute sa carrure monstrueuse et dévisagea goulument le minuscule héros en face de lui.
« Pouah! Je n’y crois point à ce que tu dis. Et de quelles passions serait-il question donc? »
Thésée déposa délicatement les deux rames sur la coque en prenant soin de les entrecroiser. Pointant vers le milieu du torse du Prédateur, il énonça :
« Ta passion pour l’avarice qui a fait rougir le blanc de tes yeux, ta passion pour la gourmandise qui ne te fait penser qu’à ton nombril, ta passion pour la furie qui t’a fait pousser des griffes en lieu d’un cœur, ta passion pour l’orgueil qui te fait désirer même ce qui est aride, ta passion pour la jalousie qui te laisse goinfrer de la vitalité d’autrui. Mais surtout ta passion pour la paresse qui t’a rétréci l’esprit en rien d’autre qu’un moignon de ton cerveau. »
(À suivre)
EIRIK LE VOYANT
Chapitre 3 - « Ma Muse était l’Aveugle »
22 juillet 2024
La voix du mage secret se déversa dans ses oreilles :
« Oui, je te vois, Eirik. Dis-moi qui je suis, et tu me verras aussi. »
L'instinct animal en lui se recroquevilla avant d'incliner sa tête vers le sol. L'Humain fut poussé à l'avant, reprenant la souveraineté sur le corps qu'ils occupaient tous deux. Et tout ce qui restait était l'immobilité du globe d'argent avec ses époques de créateurs et de fausses créations.
Alors que l'essence de la meute de loups se désintégrait lentement, les hurlements étranges de la forêt reculèrent également. L'illusion s'en allait mais Eirik le Voyant tenait fermement son épée. Entouré par la promesse du royaume éternel, il sentit la lumière la plus pure imprégner tout son être, mais tout son être tremblait à la compréhension de ce qui l'attendait. Eirik le Voyant ne pouvait ni voir le présent ni prévoir l'avenir. Il serait à jamais enchaîné à tous les passés que ses ancêtres, ses enfants et ses petits-enfants généreraient.
La voix profonde du mage retentit de nouveau :
« Tu peux encore être sauvé, mon enfant. Vois-moi tel que je suis et tu te souviendras de qui tu es. »
Eirik, le Voyant, regarda tout autour de lui. Il était encore enveloppé dans une couverture de lumière. Peut-être qu'il y aurait un jour de l'espoir pour son destin.
Prenant une profonde inspiration, Eirik répondit :
« Maître, ma volonté m'ordonne de ne pas voir ce qui est mon droit de naissance et ce que tu offres aujourd'hui pour me sauver. J'ai échoué sur ce chemin car les Skjöldung m'ont marqué comme l'un des leurs… »
(silence)
« La vanité a cherché la pointe de ma lame et ma propre avidité a finalement cédé à ses exigences. J'ai prévu mon destin comme roi de ma propre perte, mais j'ai aussi prévu l'avenir de mes enfants et c'est pour eux que je me suis laissé marquer. Ils seront les rois justes de la lumière de ce monde et, avec leurs muses, ils voyageront loin à travers le globe d'argent à la recherche de chaque pierre philosophale. Et quand ils le feront, ils verront toujours où les Skjöldung chassent car je suis le lien avec la source de cette obscurité. C'est la seule et unique voie.
L'épée est imprégnée de ma vanité mais est aussi mon identité. Je suis le miroir de moi-même et mon propre adversaire éternel. Je ne crois plus pouvoir être sauvé… mais mes enfants et les enfants de mes enfants seront les sauveurs de tout mon peuple. »
La prise d'Eirik le Voyant s'allégea. L'épée fut remise dans son fourreau.
Après quelques minutes de contemplation, la voix du mage résonna de nouveau : « Mais qu'en est-il de ta Muse ? »
Calmement, Eirik leva les yeux vers les cieux blancs : « Mais Maître, c'est ma Muse qui était l'aveugle. »
(suite et fin)
EIRIK LE VOYANT
Chapitre 2 - « Vois Moi Comme Moi Je Te Vois »
16 juillet 2024
Eirik, le Voyant, luttait corps et âme contre la mémoire de l’ancienne forêt.
Coincé dans ce panoptique surréel, il comprit qu’il avait atterri au creux du pôle du dominé au sein du dominant. La forêt le voyait dans toute sa splendeur et l’engloutissait, mais lui ne voyait rien d’elle. Quel fait étrange que de se voir dominé par une force maléfique alors qu’il avait lui-même pris possession avec égoïsme des sens physiques du louveteau sans nom. Les branches mortes de la forêt se vivifiaient au contact de sa propre mémoire et ne lâchaient plus prise. Elles l’interpellaient de leurs chants aux arômes des mondes de la préhistoire et s’enracinaient encore plus profondément à chacune de ses tentatives de s’en défaire. Essoufflé, Eirik peinait à s’élever vers la surface du ciel mais ne lâchait guère son épée. Pourtant, choisir d’accaparer la forme du louveteau n’avait guère été une décision banale. Le fondement de sa réflexion était profondément éthique. L’action était trempée dans l’égoïsme mais Eirik, le Voyant, n’était point l’égo. Il avait agi ainsi afin de protéger les secrets de son peuple et de semer la discorde au sein des rangs de Skjöldung… mais à quel prix, hélas.
Sa conscience humaine demeurait jusqu’à maintenant intouchée et lui permettait toujours de verser les larmes de sa foi face au miroir de l’identification de son soi. Résolu, il ne laisserait point la puissance de l’instinct animal se mêler aux éléments d’une nature affamée. La conscience d’Eirik dirigerait toujours les sens du louveteau et en ce moment, c’était l’ouïe du sans-nom qui était mise à l’épreuve. Réconforté par les bras de la petite fille du village, le petit louveteau s’était endormi et ne s’identifiait plus aux guerres qui se déroulaient en lui. Néanmoins, les voix solennelles de trois des huit mages blancs du village résonnaient dans les oreilles d’Eirik, le Voyant. Il les connaissait bien. D’abord, il y avait le mage Virtus, celui qui protégeait le bien-fondé des actes dits moraux. Puis, le mage Plikt qui requérait de tout chevalier de sa cour d’adhérer à l’impératif moral en tout temps, et enfin, celui qui régnait avec un esprit de fer mais qui était aussi le plus juste, le mage Nytta ou le règne de l’éthique conséquentielle.
Le cœur d’Eirik battait la chamade, lui qui était seul et non vu au fin fond de la forêt. Qui des trois mages le verrait pour ce qu’il était réellement ? Si Virtus le choisissait, l’action de prendre possession du corps du louveteau pourrait être vue comme une injustice envers la vie d’autrui, mais il accepterait cette conséquence. Si Plikt le choisissait, l’égo serait châtié et une adhérence stricte à la protection de la dignité de son peuple lui serait redemandée, ce qu’il ferait avec honneur. Mais si Nytta le choisissait, il serait jugé au sein de la justice suprême : agir au nom du plus grand bien de tous à tout moment, que ce soit venant de lui envers chacun de ses interactions ou de la cour elle-même envers lui.
Une voix grave le tira subitement de sa réflexion.
Les trois mages avaient choisi leur justicier et celui-ci tendit la main vers l’épée telle une offrande.
« Oui, je te vois Eirik. Dis moi qui je suis et tu me verras toi aussi. »
(à suivre...)
EIRIK LE VOYANT
Chapitre 1 - « Gare au loup »
1er juillet 2024
C'était la nuit avant la pleine lune et Eirik, le Voyant, avait eu son identité compromise. Ses oreilles allongées brûlaient d'intensité alors que la colère des chevaliers de Skjöldung traversait son esprit, son cœur, sa lumière. La sagesse de ses ancêtres se déroula devant ses yeux, une dernière tentative de le permettre de voir dans le futur et de manipuler le destin de ses enfants, de sa civilisation, de son univers.
« Non ! »
Avec un hurlement de désespoir, Eirik changea de rythme, de forme, d'énergie...
Un loup sans nom courait à présent travers l'immensité des ténèbres où des montagnes imposantes embrasaient l'immensité de la forêt. Il avait compartementalisé. L'instinct était son maître et la conscience n'était qu'un point invisible dans l'espace. Sous le mince rayon de la pâle lumière lunaire, il se sentait seul, avait peur mais était désireux de plaire. Au loin, sa vision perçante détecta la lueur d'un feu de bois crépitant. Des villageois !
Exalté, le loup sans nom accéléra de plus en plus vers sa dernière chance de survie. Plus il s'approchait du village, plus son corps se transformait en une forme plus petite et plus ronde. Une petite fille était assise au bord d'une clairière, hypnotisée par les chants de la forêt ancienne. Soudain, elle laissa tomber son bol de nourriture de joie en voyant le petit louveteau courir droit vers elle. Elle le prit immédiatement dans ses bras et le serra contre elle.
Sous son déguisement, le loup sans nom ne comprenait pas pourquoi mais il se sentait réjoui alors que l'entièreté de la forêt levait son voile et se repliait en lui. La forêt faisait après tout partie du loup lui-même. Ils se perdaient simplement l'un dans l'autre parfois, générant la confusion quant à savoir qui était le Maître et qui était le Voyant. La petite fille n’entendait point ces pensées et fredonnait en berçant son nouvel ami. Elle décida sur le coup qu'ils vivraient ensemble dans son village et ne s'aventureraient jamais dans les dangers qui se trouvaient au-delà. Le village était après tout le plus sûr des refuges, le seul qui protégeait ses habitants des mystères de la forêt sans fin.
Le loup sans nom ferma les yeux et écouta le bavardage innocent de la petite fille. À l'intérieur de son esprit, cependant, un nouveau champ de bataille s'était formé...
(À suivre...)
RENCONTRE AVEC SON AUTRE SOI
(suite et fin des Étoiles de la Cité d’Or)
24 juin 2024
« Réponds à l’énigme et la sagesse te permettra d’entrer dans la grotte qui scintille. Si paix commence par soi, quelle est la réponse à sa révolte ? »
Le petit homme était plongé dans ses pensées. Quelle aurait pu être la meilleure réponse à une énigme si cryptique? Le pardon, l’acceptation, la miséricorde, le relâchement? Il ne savait plus trop par où commencer puisque toute la bonté en lui indiquait que chacune de ses réponses étaient la bonne et la meilleure. Peut-être était ce avant tout l'acceptation de la situation, non pas vécue comme une résignation, mais comme une reconnaissance des parts d'ombre en lui qu’il acceptait difficilement, de tous ses conflits intérieurs qu'il avait dû combattre afin de toucher l’harmonie. En acceptant sa révolte, il pourrait la transformer en une énergie créatrice, en un élan vers la guérison et l'unité. La grotte demeurait figée.
Se mettant debout, il élança chacune de ses suggestions, l’une après l’autre prenant vie à travers son engagement profond, la puissance de sa parole, de son intention et de sa croyance mais la grotte ne s’ouvrit toujours pas. Désespéré, il s’assit et se mit à réfléchir encore et encore. Les doigts du lac étaient devenus immobiles, les lettres en blanc s’accrochant candidement à la surface. Et comme à chaque instant où il avait perdu en foi et en espoir, il ferma ses yeux et l’appela … elle, cet ange aux yeux tout aussi clairs que l’eau qui vivait mystérieusement dans sa tête et en son cœur depuis le début de son périple. Une ancienne mélodie s’interjeta gracieusement à travers le chaos de ses pensées et les démêla un à un, redressant chaque fil jusqu’à ce que la destinée lui apparat à nouveau. Il ne comprenait pas la langue qu’elle parlait. Elle semblait venir d’une autre époque et l’y rattacher tout comme lui la transportait dans ses voyages modernes et l’y enracinait.
Peu à peu, une clarté émergea. Il réalisa que la révolte, cette énergie tumultueuse et destructrice, était le reflet de la disharmonie intérieure. Si la paix commençait par soi, alors la révolte trouvait aussi sa source en lui-même. La réponse ne pouvait être que la transmutation de cette révolte en une force constructive.
Son autre lui chuchota à l’oreille : « La réponse est le retour vers Soi et donc un retour vers nous deux car seul une identité restaurée peut se permettre d’utiliser à bon escient tout ce qui fut offert à l’origine par le don d’une union entre l’amour et la lumière. »
Ouvrant les yeux, le petit homme sentit une sérénité profonde l'envahir. Se retournant vers la grotte, il énonça fermement : « La réponse à ta question est un retour vers le vrai moi, celui qui ne s’éveille qu’en la présence de mon autre vrai soi. »
Et il attendit …
Une fine lamelle de lumière lui toucha le front. La grotte lui cédait le passage.
***
À LA RECHERCHE DE LA GROTTE DE L'ÉVEIL
(suite des Étoiles de la Cité d’Or)
17 juin 2024
Le petit homme n’en croyait pas ses yeux. Devant lui s’étendait un univers infini de lumière en or. De haut comme en bas, tout scintillait. Alors que chacun de ses pas silencieux résonnaient à lui couper le souffle dans son propre monde, il se sentit émerveillé par autant de plénitude. Au-dessus de lui, les étoiles continuèrent à alimenter la cité d’or. Elles étaient douces, affables et lui procuraient un sentiment de sécurité et de paix qu’il n’avait point ressenti lors de son lourd périple à travers les diverses planètes parcourues.
La ville brillait de mille feux mais c’était un feu qui lui réchauffait chacun des blessures de son cœur valeureux et chacun des secrets qu’il avait laissés derrière lui le jour où il dut abandonner sa maison. Une danse silencieuse entre l’inconnu et le familier l’emmenait valser. Mais le petit homme continua sur son chemin. Il avait une mission à accomplir et il lui fallait maintenant retrouver l’unique grotte qui scintillait avec les étoiles.
Il se retrouva bientôt face à une ouverture glauque, une cavité profonde creusée dans le flanc de la montagne. Les étoiles scintillaient toujours au-dessus de lui mais il ne ressentait plus leur chaleur si douce. Aucun doute ne planait dans son esprit. C’était bien la grotte de l’éveil, la seule qui lui restait à parcourir afin d’illuminer l’obscurité et la détruire à jamais.
Au cœur de la grotte, un miroir d’eau scintillait sous la lueur tamisée. C’était le lac de la tranquillité, dont lui avait parlé le sage magicien. Sans hésitation, Le Petit Homme s’agenouilla au bord de l’eau. Le silence régnait, offrant une pause bien méritée à son esprit agité. Les doigts de l’eau se manifestèrent rapidement en ressentant son aura et y écrièrent :
« Réponds à l’énigme et la sagesse te permettra d’entrer dans la grotte qui scintille. Si paix commence par soi, quelle est la réponse à sa révolte? »
(à suivre)
LES ÉTOILES DE LA CITÉ D'OR
10 juin 2024
Le petit homme se sentait baigné d’enchantement. Accroché aux robes de sa dulcinée, son regard parcourait inlassablement chaque clapotis d’eau défilant devant lui. La voie vers la montagne de la sagesse avait été parsemée d’épines mais il avait conquis le monde, son monde interne grâce à sa foi et à sa persévérance
Ce soir, le lac dont lui avait parlé le magicien lui serait révélé et il n’y avait plus aucun doute, la véritable connaissance se mélangerait avidement à l'or et à l'argent qu’il avait récoltés lors de son périple.
Plus tôt, une tendre bise s’était délicatement posée sur son sort et lui avait caressé les joues rosées. Une larme s’y aventura tout aussi délicatement.
Le cœur battant la chamade, il fit finalement face au lac. Le silence de la montagne lui procura la docilité requise afin d’apaiser sa soif avec l’eau limpide de la sagesse éternelle.
Quant à l’âme du petit homme, elle s’éveilla, paupière après paupière et cela au grand enchantement de l'humain accroché avidement aux berges de la vie.
Avec un long soupir, le petit homme tira vers lui une plume d'oie qu'il glissa rapidement dans le journal qu’il tenait depuis que sa vie sur terre avait débuté.
La plume gloussa instantanément et de ce mélange naquit, sous le reflet du lac, un paysage tout à fait inattendu …
les Étoiles de la Cité d'Or.
***